Radio France, les mauvaises réponses

Dans ce conflit qui s’éternise et tandis que la situation du Service Public radiophonique métropolitain se dégrade de plus en plus (nous en sommes à plus de 20 jours de grève au moment où j’écris ces lignes), on commence à lire ici ou là quelques articles que je ne peux m’empêcher de considérer comme nauséabonds.

Alors comme ça, les gens de Radio France (enfin, certains seulement, d’ailleurs, pas les précaires !) sont des privilégiés (sic). Ils bénéficient d’avantages exorbitants (re-sic), etc… Autrement dit, même si ça n’est pas toujours explicitement écrit, ils abusent franchement et devraient au contraire accepter gentiment les plans d’économies qu’on veut leur imposer. Dans le même temps, tout le monde tire à boulets rouges sur un PDG dont les goûts de luxe confinent plus au ridicule qu’au scandaleux, tandis que chacun feint d’ignorer l’incurie d’un CSA qui s’est laissé séduire comme une midinette dans un roman de gare et dont le Président continue à jouer les vieux sages au lieu de reconnaître son erreur et se prépare à nous jouer la même pour France Télé dans peu de temps.

Moi, je constate que les vrais privilégiés, s’il y en a, ne sont pas en grève, justement. Voire que, pour conserver leurs privilèges et leurs gros salaires, ils continuent leurs émissions. Voir à ce sujet cet extrait de l’émission snobissime « Si tu écoutes, j’annule tout » et le ton tellement supérieur avec lequel l’animatrice parle, avec cet humour si parisien – croit-elle – de « temps insurrectionnels à Radio France », oubliant toute l’angoisse que ceci représente pour les vrais professionnels de cette maison, quant à leur avenir et leurs fins de mois à venir. Certains auditeurs semblent avoir trouvé cette séquence amusante et… courageuse. Drôle de conception du courage que cette manière de brocarder son PDG après 20 jours de grève. Moi j’appellerais plutôt ça tirer sur une ambulance. Et ce n’est pas très estimable, comme attitude. Et c’est aussi emblématique de cet élitisme (heureusement pas général) de certains employés de cette maison qui méprisent tellement les radios privées. N’ai-je pas lu sur lune pancarte de grévistes : Là-bas : Les Grosses Têtes, ici, les Gros Cerveaux… Et les chevilles, ça va sinon ? D’ailleurs, mon idole sus-mentionnée ne se vante-t-elle pas d’être devant Hanouna ? Quelle gloire !

La catastrophe qui peut découler de ce long mouvement risque de toucher l’ensemble du marché de la radio. La réduction drastique des personnels de Radio France va mettre sur le pavé des centaines de professionnels qui vont venir concurrencer ceux du privé, précarisant encore un peu plus les employés des petites radios locales. Et, évidemment, dans le même temps, des précaires de Radio France, personne ne parle. Eux-mêmes étant contraints de le faire dans une quasi-clandestinité pour éviter de perdre le peu qu’ils ont. « Ce n’est pas que la différence est énorme, disait Coluche, mais on était 5 à vivre sur la différence« …

Radio France coûte cher, nous explique-t-on. Trop cher. Sans doute. Mais, même si ma propre vie professionnelle m’a poussé à devenir un spécialiste du low-cost, les émissions qui me manquent actuellement dans le service public (et surement pas celle de Charline…) nécessitent une grande équipe, un budget important. Que ce soient les fictions de France Culture, les Petits Matins, la Fabrique de l’Histoire, les Docs, les Nouvelles Vagues, 42ème Rue, Etonnez-moi Benoit, Les Papous dans la Tête, Les Matins des Musiciens, j’en passe évidemment…. Toutes ces émissions auxquelles je n’ai jamais participé font partie de mon paysage radiophonique, elles me manquent et je les veux encore. Et je ne veux pas qu’on coupe dans leur budget. Mais je veux bien qu’on récupère le salaire de celle qui fait chanter un pauvre jeune homme ni drôle ni imitateur, celle qui rit si bien sur l’explosion imminente de notre bien commun : le Service Public.

Alors oui, peut-être certains à Radio France sont-ils privilégies, comme certains contrôleurs du ciel, ou des conducteurs de TGV, ou que sais-je… Mais ils le sont moins que les PDG des media qui publient les articles qui les fustigent, non ? C’est injuste ? Bien sûr ! Mais pourquoi faudrait-il toujours tout niveler par le bas ?

Car c’est bien la politique européenne qui est derrière tout cela, et sa doctrine qui pousse à baisser les dépenses publiques, qui sont les investissements dont les états ont besoin. Or nous sommes dans une époque où, Marx mort et enterré depuis longtemps, Keynes apparait comme un dangereux gauchiste et la politique du New Deal ferait aujourd’hui de Roosevelt le chef de file de l’aile gauche du NPA !

Or, tirer les salaires vers le haut, même si ça paraît obscène à la fois à tous les actionnaires qui nous dirigent et aux « spécialistes économiques » auto-proclamés qui pullulent dans les JT, celui du service public en tête, c’est la seule manière convenable de réintroduire de la dynamique dans le système. Ce ne sont pas les résultats du CAC 40 qui créent de la richesse nationale mais les dépenses des ménages. C’est le Caddie de la ménagère qui fait tourner l’économie française, pas la résidence secondaire dans le Lubéron des actionnaires… ou de Charline.

Alors, où va-t-on ? Allez, amusons-nous à prendre les paris. Voici mon hypothèse :

Mathieu Gallet va démissionner (oui, il aurait déjà dû le faire pour éviter d’ajouter du ridicule au pathétique… ou l’inverse), Frédéric Schlesinger (qui aura l’intelligence de rester dans son bureau banal et sans luxe) va récupérer le bébé, pour un temps. Notre brillante ministre sera mise sur la touche (et sera enfin libre pour le rôle de sa vie, dans un prochain OSS 117) et remplacée par un charismatique second couteau genre Cazeneuve qui trouvera un compromis (genre : pas de remplacements des départs en retraite et on trouvera par miracle une soudure budgétaire pour calmer la grogne pour un temps) et on glissera la poussière et les cadavres sous le tapis sans rien avoir réglé, à part la carte de presse de Pascale Clark, bien sûr. Jusqu’au prochain conflit, plus grave encore, qui nous mènera peut-être jusqu’à revivre l’éclatement de l’ORTF.

Fleur Pellerin mendie un rôle dans OSS 117… par Ecranlarge

Et Charline pourra continuer tranquillement à se prendre pour le chef d’orchestre du Titanic… et à cavaler derrière les Grosses Têtes !

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