Les unes après les autres, les pages se tournent, symboliques.
2015 aura été celle de la retraite pour André Torrent et de la disparition de Jean-Loup Lafont, tous deux pour toujours dépositaires d’une partie de notre jeunesse d’auditeurs passionnés.
Good Bye le 8ème…
2016/2017 seront donc celles qui verront les deux plus fameuses maisons de radios privées de France quitter la capitale et leur adresse historique. Les plumitifs ne pourront plus écrire : « la grande maison de la rue Bayard » ou « les studios de la rue François 1er » et il faudra recommencer à donner l’adresse en entier en montant dans un taxi (1). Notons au passage à quel point la désertion de RTL, qui quitte Paris pour l’une des plus laides avenues de la banlieue parisienne est un échec patent (même si seulement symbolique) pour la municipalité parisienne qui les enchaîne… Comme l’a joliment écrit un fin connaisseur de ces adresses, Alain Dupré, « c’est la revanche des costards/cravates sur les jeans/baskets » (Jean-Loup, si tu nous écoutes...). Mais là n’est point le propos.
Dans les deux cas, la raison invoquée est de rassembler sur un même lieu l’ensemble des activités d’un groupe et la logique économique ne peut que nous apparaître évidente. On passera diplomatiquement sur l’ironie qu’il y a à avoir vu ces deux maisons en perpétuels travaux pour des raisons que certaines mauvaises langues qualifient de fiscales (mais nous n’y accorderons aucun crédit) pour qu’elles finissent par re-créer de toutes pièces ailleurs ce qu’elles ont tant de fois entretenu dans le 8ème arrondissement.
Plus de 20 ans après la création de Chérie FM par NRJ (qui devait permettre au groupe de garder ses auditrices dans son éco-système, les hommes vieillissant étant eux récupérés par Rire & Chansons), 30 ans après que les grands groupes aient loupé l’arrivée des « radios FM » avant de devoir courir derrière le mouvement pour le récupérer, ces déménagements programmés me semblent loin de correspondre à la moindre autre réflexion que purement économique et à court terme de surcroit.
Simplifier pour plus d’efficacité…
Pourtant, il y a déjà bien longtemps que, chez Lagardère comme chez RTL, on a regroupé les activités sous le même toit. Et c’est bien logique. Quand les passerelles entre antennes s’inversent (avant, on rêvait chez Europe 2 d’aller bosser sur Europe 1. Maintenant si Bruno Guillon peut aller sur RTL pendant l’été, Eric Jeanjean anime les mornings de vacances de RTL2, et c’est très bien), autant qu’elles soient proches, que leurs équipes sachent vivre ensemble, échanger sur leurs cultures d’entreprise, se refiler leurs auditeurs…
Mais ces déménagements nous font aussi craindre des économies de bouts de chandelles, de ces raisonnements de boutiquiers qui gèrent des chaînes de télé qui ferment sans même qu’on s’en rende compte… Ces chaînes qu’on abat (désolé…) sont souvent mortes depuis longtemps. Parce qu’on a laissé les clés aux équarrisseurs de tous poil et qu’on a voulu « rationaliser » et « mutualiser les énergies »…. Ah les grands mots à la mode depuis que le jus de cerveau qui coule dans les bureaux directoriaux vient plus de l’ENA que de la Femis…!
Que l’époque ne soit plus « open bar », rien de choquant à cela. L’actionnaire est prioritaire et l’antenne ne prendra plus en charge les notes de frais de futurs Fabrice, c’est comme ça. Mais la course aux économies, telle que l’ont brillamment expérimentée « les 7 milliardaires qui contrôlent 95% de laproduction journalistique française » nous a offert une nouvelle race de communicants (tatatin !!!) : les stagiaires ITélé ! Et ils ont la malencontreuse habitude de ne plus sévir qu’à ITélé mais sur l’ensemble de nos médias (surtout les télés sus-mentionnées, y compris celle du service public à destination du monde, un comble !) où des journaux entiers sont désormais (pour l’instant pas encore sur les deux antennes qui nous occupent, heureusement) présentés par des journalistes dont on se demande s’ils comprennent un mot de ce qu’ils disent, et des émissions entièrement présentées par des animateurs dont le cerveau a été remplacé par un prompteur.
Penser à demain…
Que les énarques qui dirigent les médias nationaux présentent à leurs actionnaires des comptes positifs, c’est la règle du jeu. Mais qu’ils déménagent leurs locaux au non d’une logique économique, sans la moindre vision entrepreneuriale, sans la plus petite once de prospective, là, je suis moins d’accord (2). Car avant de vouloir regrouper ses ressources, peut-être faudrait-il d’abord penser à quelles ressources regrouper ?
Loin de moi l’idée de vouloir ne toucher à rien comme ont pu le faire les journalistes de Libé, arc-boutés sur leurs auras passées face à certaines propositions de l’actionnaire qui cherchait un nouveau souffle. « Nous sommes un journal ! » proclamaient-ils à juste titre. En omettant malheureusement de se poser la question qui fâche : et c’est quoi un journal, aujourd’hui ?
Justement, parce que nous sommes des professionnels, des amoureux d’un média, nous devons regarder plus loin que la simple marque qui nous emploie et que nous engraissons généralement abondamment.
En 1987, à un Franck Ténot séduisant PDG d’Europe 1 qui m’expliquait sa vision des 20 prochaines années d’Europe 2, j’avais rétorqué (avec un grand sourire et en toute humilité malgré le côté petit con de la remarque) « Faites gaffe quand même, c’est avec mon avenir professionnel que vous jouez ! ». Ça reste vrai. Au moment où les jeunes auditeurs fuient notre media, que dis-je, l’ignorent totalement !, il faut désormais réfléchir en terme de prospective. Et il est désormais patent que ni la RNT ni la radiovision ne sont, quoiqu’en disent ceux dont les postes dépendent directement de ces investissements, les solutions pour les faire revenir !
On va continuer à rigoler en écoutant les trouvailles de Manu Lévy mais a-t-on vraiment besoin de le regarder devant sa console ?
(Lire à ce sujet l’article du mec toujours d’accord avec lui-même…)
On va continuer à rigoler des trouvailles de Manu… Et on rigolerait encore plus si on n’était pas obligé de les écouter au moment où il les diffuse ! Quitte à me répéter, je voudrais rappeler ici encore une fois que ce qui nous a fait perdre une génération entière d’auditeurs potentiels (3), ce n’est pas de ne pas voir la bobine de Manu ou celle de Polacco, mais bien leur refus du stream, qu’il soit en IP ou en FM.
Times are changing…
Quand vous lisez le banc d’essai de l’appendice du mutant du XXIème siècle que nous sommes tous (l’auteur de ces lignes compris), à savoir un portable, vous lisez la capacité (ou non) de l’utiliser d’une main. Car le e-citoyen 3.0 twitte, e-maile, chatte, like et commente d’une main tout en se livrant à toutes les autres œuvres (hautes et basses) de l’existence (de la participation au cours d’histoire de la radio du nouveau prof à… Bref.)(4). Habitué à l’interactivité des réseaux sociaux qui a depuis longtemps remplacé celle que notre média avait pourtant inventée, il ne supporte pas de rester simple consommateur d’un média qui décide pour lui.
Je ne reviendrai pas sur cette monomanie qui est désormais la mienne (voir la chronique à paraître à ce sujet dans le numéro 76 de La Lettre de la Radio) d’essayer de sauver ce qui peut l’être chez les plus jeunes (oui : les futurs vieux !).
Le déménagement des radios historiques, de ces deux marques-phares que nous avons tant aimées, si elles signent la fin définitive d’une époque révolue, devrait aussi marquer le début d’une autre ère.
Et là, c’est le drame… Parce que j’ai bien peur qu’on « regroupe les activités » pour simplement permettre au stagiaire ITélé de sinistre mémoire d’enregistrer sur le même poste de travail la chronique radio qu’il vient de taper sur un site rempli de Buzzfeed avant de la twitter et de rédiger le bandeau d’une chaîne web automatisée. Reste à ajouter aux fournisseurs de contenus automatisés les fameuses voix de synthèse dont certains gourous autoproclamés nous promettent l’avènement depuis la création de feu Hit Fm (Paris, 1984-1988) et on finira de jeter les dernières pelletées de terre sur la dépouille de nos derniers auditeurs.
Alors ? C‘est quand qu’on va où ?, comme disait mon chanteur préféré avant qu’il revienne avec une chanson toute pourrie…
Pourquoi ne pas tout simplement donner aux auditeurs ce qu’ils veulent, désormais ? De la radio, encore et toujours, mais à la demande, facile à récupérer, aux téléchargements simplifiés, automatisés, et ce à l’intérieur de l’éco-système d’un groupe, évidemment, avant que des intermédiaires se jettent dans la brèche ?
France-Culture (sans doute l’une des radios qui offre le plus à podcaster) vient d’inaugurer un nouveau site. Prenant l’avion pour de nombreuses heures, je cherche à alimenter la mémoire de mon portable pour passer le temps avec « Des papous dans la tête », bon nombre de « Fabriques de l’Histoire » et autres « Nouvelles vagues », tout cela évidemment hors connexion. Ben non, pas réussi, pas compris, pas trouvé. C’est peut-être possible. A condition peut-être d’avoir un abonnement chez tel fournisseur américain appartenant au fournisseur des smartphones dont je ne veux pas parce que pour moi, la pomme c’est juste bon à faire du calva. Du coup, la page de n’importe quelle émission intelligente du service public se retrouve à faire la pub de Google+, Facebook, Twitter, et Itunes (vérifiez !). Mais de lien de téléchargement vers un fichier mp3, que pouic, nada, que d’, circulez y’a rien à voir ! Hein ? Si, c’est possible techniquement : RFI l’a fait, très simplement.
So what ? France-Culture a peur que ses fichiers viennent se fourvoyer dans mon smartphone coréen aux côtés de produits moins nobles ? Comme la chronique de Canteloup (c’est une image, évidemment !) ou de Mamane (plutôt) ? Ben ce n’est pas très malin. Parce que j’ai gavé mon appareil des très jolies émissions africaines d’un obscur animateur d’une petite associative du Sud et rien du France Culture. C’est ballot ballot, comme aurait dit l’un de mes maîtres dans ce métier…
Allez, on en reparle dans 5 ans : on verra bien si la radio a repris la main ou si des petits malins sont venus jouer les intermédiaires et se gaver dans notre gamelle. J’ai une idée sur la question, je dois avoir un coup de mou aujourd’hui…
Mise à jour du 27/2/2016 : Quelques jours à peine après la publication de ce billet (dont l’auteur, rappelons-le, a cotoyé – même brièvement – Madame Soleil !), l’actu venait mettre en valeur la pertinence de ces propos. (ben tiens, j’vais m’gêner…).
Lire (la partie gratuite de) cet article de Challenge.
(1) ou Uber, c’est vous qui voyez…
(2) Heureusement, ils s’en cognent !
(3) Et cette génération de petits cons qui nous méprise continue à vieillir et va devenir majoritaire si on ne l’éradique pas d’urgence !
(4) Merci de ne pas intervertir au montage entre hautes et basses