Le récent traitement radiophonique du passage d’Irma sur les (désormais tristement célèbres) « îles du Nord » m’inspire quelques réflexions autour de notre métier et notre pratique.
Aucune leçon donnée dans les lignes qui suivent, juste quelques réflexions pour nourrir la réflexion..
Nous le savons : c’est une vieille obligation de tout service radiophonique que de se mettre au service de la population en cas de danger. La légende guadeloupéenne raconte (1) que c’est grâce à la complicité du cyclone Hugo, qui fit quelques dégâts sur l’île papillon en 1989, que RCI prit définitivement l’avantage sur Radio Guadeloupe (RFO, radio de service public, devenue depuis Guadeloupe 1ère… mais première uniquement dans l’appellation). Parce que ses infos étaient meilleures ? Que nenni ! Simplement parce que son pylône, moins exposé que celui de RFO, résista aux vents et que la station commerciale fut la seule à continuer à émettre au plus fort de la tempête. Pour ma part, je pense que cette explication est partielle mais pourquoi pas ? Déjà, à l’époque plus d’une centaine de blessés, une dizaine de morts, alors que la radio nationale, pour les raisons techniques expliquées plus haut mais qu’elle était hors d’état d’exprimer, ça ne pouvait que faire mauvaise impression sur une population qui a souvent (et souvent à raison) le sentiment d’être abandonnée par la métropole.
A l’arrivée d’Irma, je me suis branché longuement sur Guadeloupe 1ère (radio). Parce que je connais cette radio, que j’ai travaillé avec son équipe et que j’apprécie ses animateurs. Parce que je les pensais les plus à même de me délivrer une information précise, sans sensationnalisme. Ils savent que le formateur, mais collègue, que je suis ne leur passe rien et traque (dans l’intimité de la relation de formation individuelle) le moindre de leurs défauts à l’antenne. Ceux d’entre eux qui liront ces lignes savent déjà ce que j’aurais à leur reprocher. Pourtant, je veux dire que j’ai trouvé que l’ensemble de l’équipe, animation et rédaction, a fait un formidable boulot. Je sais les nuits blanches passées, les 24 heures non-stop à la radio, l’implication, l’engagement des équipes.
En fait, si la France a fait preuve d’un manque de préparation à l’arrivée d’Irma, l’impression qui ressort de ces journées d’écoute est que, sur place non plus, on ne s’attendait pas à une catastrophe d’une telle ampleur.
Et le travail à l’antenne de toute l’équipe de Guadeloupe 1ère a été parfaite d’empathie avec la population. La présence sur place (quand les communications étaient possibles) des journalistes envoyés spéciaux était évidente mais le traitement local a été exemplaire. Je pense notamment aux papiers de Steeve Prudent, en direct de Saint-Martin, qui a fait preuve de retenue, qui a rendu compte avec courage de la réalité de ce qu’il voyait et vivait, avec une rigueur journalistique redoutable. J’ai noté qu’il a tenu à minimiser immédiatement les rumeurs ignobles de pillage reprises à l’envi sur les réseaux sociaux et sur certaines chaînes d’info parisiennes, et dont on voit aujourd’hui le peu de fondement.
Alors oui, il y a quelque chose de dérangeant dans ce que je viens d’écrire : je viens de parler d’envoyés spéciaux. Et c’est là que se pose le vrai problème radiophonique local. Saint-Martin, pour prendre l’île la plus peuplée, ce n’est pas la Guadeloupe, contrairement à Marie-Galante, les Saintes ou la Désirade. Saint-Martin n’est même pas un département français. Disposant d’un statut particulier, Saint-Martin revendique depuis longtemps sa propre radio locale d’état. En tant que telle, Guadeloupe 1ère ne pouvait pas être la radio d’urgence de l’île. Elle pouvait tout juste relayer des infos à ses propres auditeurs, en Guadeloupe.
Quant aux radios locales privées à Saint-Martin ou Saint-Barth, n’en parlons même pas.
Dimanche 10 septembre, Radio France, dont je n’ai pas l’habitude d’être un zélateur, lance Urgence Îles du Nord, une radio émise sur place sur un pylône relevé pour la circonstance. Et immédiatement, les critiques de fuser de toutes parts. Evidemment, la radio est fabriquée à Paris, ce qui fait râler. Pourtant, n’y a-t-il pas plus de moyens, actuellement, à la Maison de Radio France, pour mettre en œuvre cette initiative ?
Mais c’est bien la question de la radio de territoire que pose la création de cette radio. Et, si cette mise en oeuvre était une évidente bonne chose, comment, quand on l’écoute sur place, ne pas donner un peu de crédit aux critiques lues ici ou là sur « les vieux réflexes coloniaux » ? En effet, quand un journaliste dit « là-bas » en parlant de Saint-Martin, quand les flashs infos (made in France Info) parlent de l’île à cause de la visite du mari de Brigitte, quand ces mêmes flashs ouvrent sur la grève des routiers en métropole, voire les intempéries en Moselle !…
C’est d’ailleurs une habitude de nos radios décentralisées que de glisser des flashs venus de France Inter ou France Info, au sein lesquels on donne toujours l’heure métropolitaine, comme si le méridien de Paris était définitivement primordial. (2)
En fait, contrairement à d’autres pays moins favorisés que le nôtre où la radio est utile, chez nous elle est futile. Il ne s’agit pas de le déplorer, bien au contraire, mais d’admettre que ce pays jacobin ne sait plus décentraliser ses services publics, notamment celui qui nous intéresse. Évidemment, l’économie locale ne permet sans doute pas la gestion d’une vraie radio commerciale sur le modèle de RCI, par exemple. Quant à la Communauté de Saint-Martin qui réclame une radio décentralisée locale, elle a aussi sa responsabilité dans le fait de ne pas l’avoir créée elle-même, du fait de sa petite autonomie.
J’ai lu ici où là des critiques sur le fait qu’on n’aurait pas dû abandonner les Ondes Courtes, comme si les récepteurs de ce type se trouvaient facilement dans les supérettes de Marigot. La FM, pour le coup, est la gamme d’onde universelle. Les appareils se trouvent facilement, les piles aussi, et c’est la tradition locale. Autre tradition locale, particularité de nos îles du bout du monde (pour celles que je connais, tout du moins), de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien, la très forte implication des auditeurs dans la fabrication de leur radio. De Freedom, sur lîle de la Réunion, dont il fut déjà question ici, à RCI aux Antilles, l’ouverture de l’antenne aux auditeurs est une habitude, dans des régions où on est parfois très bavard et où on a souvent une certaine habitude de « broder », comme on dit en créole.
Ainsi, Guadeloupe 1ère a ouvert son antenne tout au long de l’alerte sur l’île puis lors du déplacement d’Irma vers les îles du Nord. Les animateurs ont invité les auditeurs à venir donner des nouvelles de leur ville, de leur côte. Lentement, comme l’alerte retombait sur Baie-Mahaut et tandis que les frayeurs s’atténuaient, ces bonnes nouvelles se sont transformées en inquiétudes pour les autres îles puis en demande de nouvelles de la famille devenue injoignable. Et les animateurs de se transformer, parfois en vidéo direct sur Facebook Live, en standardistes façon Europe Assistance, mais au fond pourquoi pas ? Toutes les initiatives tendant à inscrire la radio dans la solidarité territoriale sont les bienvenues !
Et là, on a frôlé la schizophrénie à Guadeloupe 1ère qui, radio de service public, relayait les messages de l’état qui disait « restez confinés, écoutez la radio et ne téléphonez qu’en cas d’extrême urgence » et Guadeloupe 1ère, radio péyi, qui voulait faire entendre la voix de ses auditeurs sur ses ondes et les incitait donc à n’appliquer en rien les consignes qu’elle véhiculait !
Alors, où en est-on désormais ? Depuis dimanche, on ne pouvait écouter sur place que cette radio fabriquée tant bien que mal depuis les studios du 16ème arrondissement de Paris et qui ressemble plus à une boucle d’infos pratiques car fabriquée par des journalistes parisiens. « Se laver les mains, boire de l’eau en bouteille », tout ça en boucle avec très peu de vraies infos locales.
Certes, on y entend aussi de l’anglais et du créole mais il ne s’agit en aucun cas d’une radio d’accompagnement. Pas de tranche animée ni de ligne ouverte, aucune de ces émissions qui, en dehors d’assurer une présence chaleureuse et humaine en dehors des tranches d’info, donnent à la radio sa chaleur et une partie de sa crédibilité. Bizarrement, il y a aussi de la musique sur Radio Urgence Îles du Nord… Là encore, j’aimerais comprendre la logique : si on a sauvé quelques piles du désastre, voire si on a marché jusqu’à un point de vente ré-ouvert pour en trouver, est-ce vraiment pour écouter les tubes que rabâchait Radio Chaise Longue, entre deux pauvres voice-tracks venus de métropole, juste avant la catastrophe ? Faut-il vraiment vider les piles pour écouter Ed Sheeran ? Alors qu’on essaie de savoir où sont les points de distribution de nourriture, où recharger son portable, trouver du wifi, etc…
Depuis ce mercredi matin (heure locale), Guadeloupe 1ère est à nouveau diffusée sur Saint-Martin en radio comme en TNT (combien de téléviseurs sont en état ?). Mais aucun studio local ne peut faire écouter aux sinistrés la voix de leur île en direct. Dans une région où, plus qu’en métropole, les animateurs sont sur le terrain, là, il n’y a aucun reporter local à même de passer en direct depuis une cellule de crise, depuis le point wifi de Dauphin télécom ou de distribution de vivres, par exemple.
Encore une fois, il faut d’abord se réjouir de la capacité du service public (peu réputé pour sa réactivité) à créer aussi rapidement un média dédié dans un laps de temps aussi court. Par contre, il faut, une nouvelle fois se poser la question de la gestion de la décentralisation des services publics d’audiovisuel et, au lieu d’appliquer en catastrophe de vieux schémas connus, réfléchir à chaque fois à l’approche nécessaire. En effet, on ne m’ôtera pas de l’idée que cette radio venue de Paris, si elle se borne à donner les bonnes nouvelles qui arrivent au compte-gouttes au moment où Jupiter vient de faire une tournée locale un peu contestée (pour le moins) risque de passer, ce qu’elle ne mérite pas, pour une simple radio de propagande étatique.
L’art étant toujours plus difficile que la critique, je laisse ouverts les commentaires sous ce billet, qui seront donc les bienvenus dès lors qu’ils restent courtois et bien dans le sujet.
(1) Je me méfie toujours un peu des légendes locales qu’il est de bon ton de raconter au visiteur/collègue métro venu travailler quelques temps dans nos îles ensoleillées…
(2) J’ajoute pour la petite histoire que les horaires parisiens sont rarement précis et que les animateurs doivent faire de la parole au mètre avec le retour de Paris dans le casque, au lieu de se caler sur une pendule synchronisée.