Vendredi 20 novembre 2015
Depuis une semaine, le monde nous parait un peu plus sombre, un peu moins accueillant. Il faut dire que les horreurs dont il est le théâtre quotidien se sont produites, cette fois, au milieu de nous, dans ce centre symbolique, cette capitale de la France qu’est ce Paris populaire et vivant…
Et, ce vendredi, c’est de Bamako que nous sont venues les mauvaises nouvelles, avec cette prise d’otages dont, tout au long de la journée, on ne saura rien ou presque.
RFI, puis France 24 seront mes sources d’information, jusqu’à 14 h, où je bascule sur France Info. Jusqu’à ces derniers mois, France Info, soyons honnête, ça n’a jamais été ma came. Et puis, lors de la prise d’otages, déjà !, de l’Hypercacher, j’ai découvert le 14/17 de Gilles Halais dont j’ai admiré les qualités d’anchorman, sa capacité à gérer, improviser, avec une maîtrise, une classe et une élégance qui font défaut à beaucoup de ses collègues, radios et télés confondus. Gilles a deux oreilles et deux lobes de cerveau, et ce n’est pas trop pour être capable d’écouter tout à la fois ses interlocuteurs et les ordres de la cabine où on sent une équipe solidement au travail derrière.
Je vais être clair : je ne suis pas journaliste, je ne travaillerai donc jamais à France Info. Je n’ai jamais rencontré Laurent Guimier, je ne lui ai jamais envoyé mon CV. Juste, une connaissance commune m’en avait dit du bien. J’ai écouté sa radio et entendu la métamorphose qu’il y imposait. Et je suis heureux de constater que nous avons désormais une radio d’info qui correspond – grosso modo – à ce qu’il me plaît d’écouter.
Ce vendredi, donc, dans mon bureau, devant mon ordi, j’ai allumé France Info. Et comme Gilles ouvrait sa tranche en nous parlant du « Live France Info », je me suis branché sur la radiovision. Mon ordi a deux écrans, celui de gauche m’a donc affiché la radio augmentée, avec des photos, des bandeaux, et la vidéo du studio.
Évidemment, l’image a commencé par me parasiter, m’empêcher de travailler, là où la radio seule m’aurait accompagné. Mais, le vieil amoureux des studios a voulu voir comment on bossait dans celui de France Info. Et là, je me suis fait un certain nombre de réflexions. D’abord, qu’on n’est pas obligatoirement beaux, dans nos studios. Pardon, Gilles, mais je te regardais et je me disais que, concentré comme on est quand on lance un direct de 3 heures dans des conditions aussi dramatiques, on passe pour un malade bourré de tics, plus que pour un grand pro, ce que tu es pourtant. Un œil sur les différents écrans, un sur la régie, un autre sur la pendule, un quatrième sur la personne qui entre en studio, etc… Il faut passer son temps à tout surveiller, pour garder – et gérer ! – le tempo de l’émission. C’est tout, sauf un spectacle intéressant pour l’auditeur.
Puis, il y a eu un journal, tout à fait bon, bien fait, professionnel, présenté par une journaliste… assise hors champ. Or personne n’a fait panneauter la caméra et on a suivi Gilles, préparant la suite, discutant avec la régie pendant les sons. Mais la journaliste, jamais on ne l’a vue. Ce n’est pas grave… c’est de la radio ! Évidemment mais quand même… Parce qu’alors, à quoi bon ? Je repensais à nos débats avec mes amis de Broadcast Associés (ce n’est pas de la pub, ce sont mes amis !) et je me disais que non, là encore, on n’arrivait toujours pas à me convaincre de la valeur ajoutée… J’ai regardé ce que cette image m’apportait en plus : des bandeaux qui défilaient, comme sur une chaîne d’info. Toujours les mêmes, comme sur une chaîne d’info. Des tweets, aussi, comme sur les chaînes d’info. Moi qui venais de twitter mon plaisir d’écouter le professionnalisme de Gilles Halais sur Info, j’ai craint un instant que ce soit repris comme le fut le tweet provocateur adressé à Fabrice Gautier lors du dernier (et soporifique) Radio 2.0…. Heureusement, il n’en fut rien.
Et…. Et est arrivé Michel Polacco. Et comme je m’étais remis au boulot entre temps (trouvant que l’image ne m’apportait pas grand chose), j’ai relevé le nez pour voir, curieux comme l’auditeur lambda mais passionné que je suis, la bobine de cette fameuse voix. Pré-annoncé par Gilles pour dans une minute, il s’installait tranquillement dans le studio pendant la diffusion d’un son sur les événements dramatiques en cours. Et, comme Polacco doit être quelqu’un de sympathique, il a adressé un petit bisou, gentil, sans conséquence, à sa consœur en face, vous savez, celle qui restait toujours hors-champ.
Et ce bisou m’a gêné. Ce bisou simple, sympa, souriant, cette marque de gentillesse, de connivence avec une collègue, ce simple petit geste qui montre que l’ambiance est bonne, qu’on aime travailler ensemble, que le média est humain, bref, un bisou porteur de mille signes positifs, dont nous avons tant besoin en ce moment, ce bisou m’a dérangé.
Il m’a dérangé car il venait évidemment en contradiction évidente avec ce que nous étions en train d’écouter. Il venait comme contrarier le discours, l’affadir, le contredire, presque le nier. Car, sur le même écran, j’avais les images fixes des militaires français qui venaient de décoller pour Bamako, armés jusqu’aux dents. En ajoutant ces images, en les mettant sur le même plan que celles, animées, du studio, on venait en effet de dramatiser encore plus la situation et cette image d’amitié volée par la caméra du studio avait du coup quelque chose de presque indécent, de ce côté de l’écran.
Plus tard, j’ai pris la voiture et j’ai continué à écouter la même tranche et tout était parfait, malgré ce bisou qui me restait en mémoire.
Alors, que tirer comme conclusion de ces remarques ? Je ne sais pas… Que Michel Polacco ne doit pas envoyer de bisou à ses collègues ? Que nenni (sauf si madame Polacco…, si quelqu’un lui fait lire ces lignes…) !
Ceci m’a fait repenser au morning télé de Réunion 1ère, en 2013, qui diffusait celui de la radio. Voir, à la télé, ou sur un écran d’ordinateur, des gens avec un casque sur les oreilles qui font des gestes bizarres (pour lancer les sons, les pubs, les jingles…) ou qui parlent sans qu’on entende ce qu’ils disent pendant qu’on entend des gens qu’on ne voit pas (pendant les diffusions de sons, ou les duplex) reste quelque chose d’illogique. Penser que les journalistes et animatrices de morning doivent se lever plus tôt pour se maquiller, relève aussi du stupéfiant… Mais surtout quoi ? Alors que l’on parle de viser le consensuel, on accepte de montrer aux auditeurs qu’il se passe dans le studio des choses auxquelles ils ne participent pas ? Or, de voir Gilles échanger avec la technique, le regard légèrement à droite de la caméra nous rappelle l’existence de cette équipe avec qui il a, forcément, une plus grande complicité qu’avec nous. Et vous ne m’enlèverez pas de l’esprit que ceci est forcément, pardon pour le gros mot, excluant !
Mais, si l’on excepte ces détails que l’on a bien le droit de trouver insignifiants, où est la valeur ajoutée ? Quand le programme avec l’image est moins cohérent que celui sans image… Quand l’image vient brouiller le message adressé par le média….
Que la télé soit un média de spectacle, nous le savons tous. Personne n’est choqué de savoir que le premier ministre passe au maquillage avant de faire un 20 heures. On se souvient aussi de Bruno Masure présentant le JT en charentaises ou en caleçon, n’ayant, pour le plaisir, travesti que la part qu’il nous donne à voir. Mais la caméra ne va pas dans sa loge, n’est pas là pendant les sujets (ce qui permet à la maquilleuse de faire des raccords, que nous ne verrons jamais).
Cette caméra qui nous montre sans nous montrer ce qui se passe dans nos studios, qu’apporte-t-elle au bout du compte, comme valeur ajoutée ? France Info, ce vendredi 20 novembre 2015, malgré la qualité de son antenne, de son anchorman, ne me l’a pas démontré. Peut-être d’ailleurs justement parce que c’était de la bonne radio ! Et que ça se suffit à soit-même.
Alors oui, bien sûr, il faut être sur tous les supports, tous les devices. Donc, il faut avoir de l’image puisque c’est notre société qui va dans ce sens. Oui, le flux hertzien est appelé à disparaître et je suis le premier à appeler de mes vœux l’évolution de nos habitudes de production pour répondre aux nouvelles habitudes d’écoute. Mais encore ? Sans doute faut-il aller plus loin et, quitte à occuper l’écran, le confier une autre rédaction, complémentaire, capable d’un autre exercice et ayant pour tâche de nous apporter une autre lecture de l’info, iconographique, notamment. Là, peut-être nous fallait-il des cartes du Mali, de Bamako, des chiffres sur sa population, des photos des leaders d’Al Mourabitoune, etc… ? (je ne suis pas journaliste, je n’apprendrai pas son métier à Laurent Guimier)
Bref, une lecture différente et complémentaire de l’info, offerte à une génération qui est capable de regarder un film en twittant et de skyper devant Game of Thrones, mais une complémentarité qui, bien sûr, ne me manquera pas lorsque je monterai en voiture !
Ces idées, balancées ici surtout pas comme donneur de leçons mais dans l’espoir de participer à la réflexion en cours qui permettra à notre média de résister à la plus sérieuse révolution qu’il ait rencontré car la question n’est plus de la TNT ou de la FM mais bien de sa survie, devant une jeunesse qui l’abandonne. Et comme ladite jeunesse a le mauvais goût de commencer à vieillir sans perdre ses épouvantables manières…
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Ci-dessous quelques réactions à cet article, dans le fil de mon tweet puis dans celui du retweet de Laurent Guimier…
Qq réflexions dominicales sur l’image à la radio… @gilleshalais @franceinfo @laurentguimier @Broadcast_asso https://t.co/wH2xiAdL7a
— Remy Jounin (@remyjounin) 22 Novembre 2015
Merci pour cette contribution très constructive au projet @franceinfo ! https://t.co/BnOGmrBQsu
— Laurent Guimier (@laurentguimier) 22 Novembre 2015
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