Depuis quelques jours, l’ensemble du petit milieu radiophonique twitte et partage sur tous les réseaux cet article du Figaro qui nous dit, ô divine surprise !, que le roi est tout nu et que les jeunes ont massivement déserté la radio.
Depuis 10 ans, fort de mon expérience bénévole auprès des lycéens de Radio Trousseau (1) et de mes activités professionnelles auprès de jeunes un peu partout sur cette planète (voir à ce sujet cet article récent), je crie sur les toits (mais les toits du désert, de toute évidence), ici ou dans La Lettre Pro de la Radio que ça va arriver, que c’est sur le point de nous arriver, que c’est en train d’arriver… Mais, préférant regarder ailleurs « pendant que la maison brûle... » (2), on fonce vers le mur le pied à fond sur l’accélérateur… mais avec l’autoradio à fond sur nos 40 mn de tubes sans pub !
Parce que, à force de laisser de vieux jeunes faire de la radio jeune, s’imaginer que le « Jeune » ne s’intéresse qu’à la musique et aux nouilles dans le slip, on est devenu parfaitement incapable de lui proposer quelque chose de neuf… et pourtant d’essentiel : DU PROGRAMME !
T’es con, jeune, on ne va pas te parler littérature ou évolution sociale, merde, t’y comprendrais quoi ? Rihanna et J-Lo, c’est assez bon pour toi. Et ça remplit les caisses à peu de frais ! (3)
Et tiens, voilà-t-il pas que quelqu’un dont ce n’est pas le métier, et qui – de surcroît – écrit dans le Figaro, use sa liberté de blâmer pour nous rappeler cette évidence : les jeunes ont foutu le camp ! et tout le monde est bien obligé de l’admettre. Alors je lis ici ou là des arguments dont la mauvaise foi me coupe les pattes, notamment celui d’un professionnel que j’estime trop pour ne pas tomber des nues quand il affirme en substance (pour des raisons de carrière, je le souhaite) que c’est l’absence de quotas dans le streaming et les plateformes qui est en cause (si si !)…
Alors, évidemment, ce petit article fort bien fait et qui n’est qu’un constat nous rappelle opportunément que, effectivement, comme le dit fort justement le toujours avisé Jean-Paul Baudecroux, ça ne coûte pas cher. Même quand c’est bien fait ! Parce que sérieusement, est-ce que NRJ et Nosta, par exemple n’ont pas actuellement la meilleure grille de leur histoire ? (4) Manu Lévy, Philippe Llado, Cauet, Bruno Gilbert, comme équipe de choc, ça se pose là. Pros reconnus, drôles, carrés, tous porteur d’une formidable empathie. (5) Et si Jean-Paul trouve que ce n’est pas cher, c’est quand même peu parole d’orfèvre, on peut lui faire confiance, hein !
Et je ne reprocherai jamais à ceux qui gèrent ce vieux système d’en profiter jusqu’à la fin. Par contre, pour les plus jeunes, ceux d’après, on fait quoi…?
Hier, à la fin de mon cours d’histoire de la radio, au Studec, un petit jeune de 1ère année est venu me demander plus de détails sur ce si joli souvenir que je leur avais raconté : Kriss Graffiti et ses délicieux Portraits Sensibles… Rappelez-vous, Kriss, la fragile, qui tendait le micro de France Inter à des anonymes, dans la rue et leur demandait « Comment ça va ? » Et à la réponse polie (« ça va ») que lui faisaient ses interlocuteurs, car nos auditeurs sont toujours polis quand nous les respectons, elle posait cette question, géniale : « Pourquoi ? ». Kriss, que j’avais eu le plaisir de rencontrer quand, parmi d’autres idées farfelues, Marc Garcia nous avait imaginés en duo sur Europe 2, Kriss avait trouvé la clé parfaite, l’ouverture, l’écoute. Je n’ai pas eu l’occasion de lui dire combien j’étais admiratif et jaloux de cette trouvaille…
Oui, du programme humain, tourné vers l’autre, qui emplit l’antenne de jolies voix, de belles histoires d’anonymes, de bonnes ondes, c’était sa trouvaille, sa piste. Et il y a des jeunes pas si cons, donc, que ça fait encore rêver. Et qui aimeraient bien tenter de continuer à creuser ce sillon… sensible.
Reste à trouver le nouveau modèle économique, un nouveau rapport de temps avec nos auditeurs, plus actifs devant le média, incapables d’attendre que ça arrive, non parce qu’ils seraient instables ou hyperactifs, mais parce que leur cerveau 2.0 est devenu multitâches et plus avide d’informations (au sens data).
Bref, même si ce billet sent un peu le « j’vous l’avais bien dit », l’idée serait plutôt de se rappeler de ne pas leur laisser un champ de ruines…
Il y a 30 ans environ, à un Franck Ténot brillant, séduisant, passionnant, qui augurait de la radio à venir, j’avais eu l’outrecuidance de répondre, sous forme de boutade mais pas que, « rigolez pas avec tout ça, c’est mon avenir professionnel que vous fabriquez… ». Ca ne risquait rien, d’ailleurs. Il avait une vision de l’avenir, cet homme…
Et si c’était notre tour d’essayer de nettoyer derrière nous ? Et laisser cet endroit dans l’état…
(1) Radio interne installée pendant 20 ans dans l’enceinte de l’hôpital pédiatrique Armand Trousseau (Paris 12ème), Radio Trousseau a émis en interne, vis un canal de la télévision, avec des émissions réalisées par les lycéens de l’arrondissement à destination et avec les enfants hospitalisés. Le combat a fini par s’arrêter, faute de combattants…
(2) Oui, c’est du Chirac dans le texte. Je suis capable d’exhumer n’importe quelle citation qui m’arrange, c’est à ça qu’on reconnait la vraie mauvaise foi assumée.
(3) Car n’oublions pas le mot du poète qui nous incite à vider leurs fouilles pour remplir nos caisses !
(4) J’en entends dire que je fais mon fayot, qu’ils relisent, si ça leur chante, ce que j’ai twitté sur Chérie, ça les calmera…
(5) OK, avec Nosta, on est un peu hors-sujet mais vous ne m’interdirez pas de dire du bien des potes ou des gens que j’apprécie professionnellement…
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