Récemment, là, j’ai taillé la route.
Tout seul, dans ma voiture, j’ai pris l’autoroute un soir de semaine, après le dîner, pour aller faire un tour dans l’Est. La nuit tombait. De loin en loin, de petites nappes de brouillard obligeaient à lever le pied. La visibilité était ce qu’elle est en général sur les autoroutes françaises dont l’éclairage a fait leur célébrité en Europe.
La radio était allumée et j’avais besoin de compagnie. Sur France Culture, j’ai découvert « La Dispute« . Des tas de gens très érudits étaient allés ensemble voir un opéra à la Bastille et rivalisaient de bons mots pour gloser sur le lieu (« Il vaudrait mieux le transformer en piscine« , très fin) et sur le spectacle lui-même qu’il fallait réussir à charrier tout en admettant qu’on l’avait aimé. Tout cela était subtil, élevé intellectuellement et certainement très cultivé.
Le problème, c’est que moi, pauvre blaireau, ce soir-là, au lieu d’aller à l’Opéra-Bastille (gloser sur le lieu et les gens), j’étais stupidement resté devant ma télé pour regarder « The Misfits » sur TCM en version restaurée. Et comme ces gens-là semblaient manifestement avoir oublié qu’ils parlaient devant des micros, confortablement installés dans un studio douillet du service public, ils discutaient tranquillement entre eux, faisant des appartés, des private-jokes et, à aucun moment, l’animateur n’a eu un mot pour moi, pour me donner l’impression que je pouvais éventuellement au moins servir d’alibi.
Alors, j’ai zappé. Sur l’autoroute, à ce moment-là, je n’avais pas un choix terrible. Je me suis arrêté sur France Inter, où ça semblait « ouvert la nuit« . Et là, c’était totalement différent. Non pas parce qu’on pensait à parler à l’auditeur, non. Mais parce que des gens discutaient entre eux d’un spectacle qu’ils ne semblaient même pas voir vu. D’ailleurs, l’animateur a même réussi à se planter dans le nom de sa chroniqueuse. Heureusement, ils ont trouvé ça tellement drôle que je dois quand même être profondément stupide de n’avoir pas éclaté de rire avec eux.
Alors, j’ai pensé un gros soupir et, tout en farfouillant dans la boite à gants pour en sortir une compil des Carpenters, j’ai eu une pensée émue pour mon pote Jean-Jacques Guinard, qui m’accompagnait quand je roulais la nuit dans les années 90 et 2000, avant de prendre sa retraite. Lui, il n’exerçait pas sur une radio cultivée ou intellectuelle. Non, Chérie FM ou RTL2, ça ne vole pas haut. Mais, quand il faisait un micro, il me tenait compagnie, c’était une voix amie, dans la nuit, une voix complice.
J’ai pensé aussi à Bruno Rizzi. Lui, il m’aidait à ouvrir les paupières, sur le périph, vers 4 h 30 du mat’, à l’époque où des tortionnaires me faisaient lever à pas d’heure au milieu des vacances pour venir torturer une otarie dans une petite rue non loin des Champs-Elysées. Bruno, son micro de 4 h 35, il était pour moi, et pour les autres zombies qui se demandaient pourquoi ils étaient debout à une heure aussi indue. Et lui, c’était sur Nostalgie, qu’il faisait ça.
Alors qu’on n’aille pas pour autant m’accuser de procès anti-service public. En rentrant, le lendemain, de l’Est, alors que je m’attendais à écouter la toujours formidable émission « Sur les Docs« , je suis d’abord tombé sur le Mouv’ et les chroniques d’une abyssale stupidité d’une certaine Ovidie mais, heureusement, de retour sur Culture, j’ai ensuite découvert (parce qu’on était vendredi) l’excellente « Sur la Route » et j’écris ceci en savourant « Place de la Toile« . Autant d’émissions où l’auditeur est au centre de tout.
Et ça fait toute la différence, finalement.
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