La traîtrise de Hollande dont la politique sans queue ni tête a contribué à faire voler en éclats les lambeaux de structure qui consolidaient encore un peu notre démocratie, j’entends la disparition de l’affrontement en deux blocs plus ou moins identifiables, puis ce qui en a résulté : l’élection d’un président sans parti, sans base, sans passé et sans programme autre que sa propre mégalomanie, sont des catastrophes dont notre pays n’est pas près de se remettre et qui ne peuvent que nous interpeler, surtout si l’on est parent et qu’on se soucie du délabrement du monde qu’on a contribué à créer.
Dans le même temps, on constate une désaffection croissante du public pour les formes traditionnelles de l’information. La presse papier est morte, portée à bout de bras et à fonds perdus par des milliardaires dont la qualité première n’a jamais été la philanthropie, donc aux desseins bien plus discutables. Le Monde et Libé ne savent plus qui ont été Beuve-Méry ou même Serge July, pas plus qu’Europe 1 ne se rappelle un Lancelot ou un Desjeunes, pendant que RTL a remplacé le janséniste Pierre-Marie Christin ou le dérangeant Philippe Alexandre par Praud et Alba. Le populisme a remplacé la réflexion, l’invective a pris la place du dialogue, le buzz a chassé le temps de l’intelligence.
Alors, heureusement, le public qui ressent un manque, se tourne vers d’autres canaux. Pour éviter le « tous pourris », beaucoup de ces citoyens normaux que les gens de média ne côtoient plus, grappillent à droite et à gauche les infos qu’ils peuvent sur des réseaux dont ils ne savent pas toujours mesurer la qualité. On me disait récemment : je m’informe sur Twitter. Ne ricanez pas : pourquoi pas ? Tout dépend de son choix d’abonnements ! Le vrai risque étant surtout de ne plus lire que des propos dont on est déjà convaincu au départ ! Les algorithmes ne sont pas non plus réputés pour leur bonne foi…
Les grands éditorialistes disparus n’étaient pas tous de mon bord, loin s’en faut. Leur réflexion toutefois me permettait de mettre l’information en perspective. Leur propos n’était que rarement partisan (évidemment, on pourra toujours me citer un Jean Ferniot franchement droitier sur RTL ou un André Arnaud dont la manipulation quotidienne dans son journal de la mi-journée sur Europe 1 au moment de l’Union de la Gauche était un modèle à disséquer dans toutes les écoles de propagande !) ou alors tellement ouvertement fayot (oui, je pense à Alain Duhamel partout, évidemment !) qu’on ne pouvait pas le prendre au sérieux. Mais, je me rappelle une époque où la première radio de France donnait chaque matin trois minutes à cet austère PM Christin qui parlait de morale ou la rédaction en chef et la présentation de son journal du week-end à un Jean-Pierre Tison, amoureux de toutes les cultures et sachant nous présenter un journal passionnant et touchant tous les publics. Ce qui n’interdisait donc aucunement le Stop ou Encore ou les Grosses Têtes, bien au contraire.
Times are changing… De nouveaux temps imposent de nouveaux usages et, une fois de plus, les médias traditionnels laissent passer le coche. Les grosses périphériques ont failli louper le train de la FM, les employés de Libé ont plombé leur entreprise en refusant sa mutation (notamment avec sa webradio qui aurait pu être un laboratoire vivant), Le Monde est allé copier aux USA son modèle de survie économique… Et on peut sans vergogne paraphraser Jean-Paul Baudecroux en affirmant que chaque corbillard qui passe transporte un ancien client de la presse traditionnelle (papier ou audiovisuelle).
Il y a heureusement des lueurs d’espoir dans cette révolution de la recherche d’info par le public : une nouvelle consommation, de nouveaux abonnements, via les Pure Players notamment : Médiapart qui a ouvert la voie en montrant qu’un modèle économique pouvait naître et perdurer, quoi qu’on pense de la diva qui en a accouché. Puis plein d’autres que je ne citerai pas, inutile d’alourdir une liste qui serait forcément partielle et partiale. Mais aussi des agences de presse indépendantes (Premières Lignes, par exemple).
Et pendant ce temps, les vieux médias, assis sur une puissance passée, jettent tout le bois nécessaire dans la chaudière, au risque de la faire exploser comme celle de l’Asbestos D Plower dans un bon vieux Lucky Luke et finissent de se prostituer auprès des marchands du temple (ah le buzz répugnant de Stromae grand récupérateur de tous les malades de la dépression avec la complicité criminelle du 20 heures de TF1 !) ou des politiques, essentiellement de droite, forcément.
Et on vient encore d’en avoir un exemple criant avec la dernière intervention hors-sol de notre Méprisant de la République sur… ah bah tiens, TF1 encore, et un serviteur zélé à la manœuvre. Gilles Bouleau, que je ne connaissais pas jusque là mais dans cet extrait repris par la chaîne que je regarde généralement (France 24, pour être clair, parce qu’on y trouve une matinale de qualité qui se rappelle parfois que le monde est plus large que la France et la guerre en Ukraine)… Gilles Bouleau donc, qui, tout gonflé de son importance d’intervieweur de Macron, pose d’un air important les questions qu’on l’a autorisé à poser.
Et personne, dans la cour du monarque, ne semble plus avoir aucune conscience du ridicule. Quand Macron explique qu’on ne donnera pas d’avions à l’Ukraine (je n’ai aucune compétence pour dire s’il a tort de penser que ça nous mettrait en danger vis-à-vis de la Russie et je respecte donc sa décision) MAIS qu’on va former des pilotes ukrainiens, on est d’accord pour trouver ça incompréhensible, non ? Donc, soit c’est une mesurette pour ne pas avoir l’air lâche (et c’est nul), soit c’est une étape dans un plus grand dessein mais autant attendre pour nous en parler, me semble-t-il… Bref… Donc, toujours chargé de cette importance qui marque les Grandes Rencontres (!), Bouleau demande d’un air pénétré si les entrainements auront lieu sur des Mirage 2000. Réponse de notre employé à l’Elysée (ben oui, ne jamais l’oublier !) : « les entraînements vont pouvoir commencer très bientôt ».
- C’était pas ma question !
- Oui, ben c’est ma réponse.
Ne rêvez pas : on l’a bien entendu ça, mais c’était il y a 40 ans, dans une fausse interview de Marchais jouée par Thierry Le Luron, avec Pierre Douglas en journaliste politique pugnace (oui, il fallait bien un humoriste pour faire passer cet oxymore)…
Non, qu’est-ce qu’il répond, le Bouleau qui avait piscine le jour des cours sur le « droit de suite » à l’école de journalisme mais qui n’a pas loupé une séance de l’atelier cirage de pompes (pour rester poli) ? De son air pénétré et profond, il demande/affirme : « Il n’y a donc pas de tabou ? »
Est-ce que ça n’est pas ma-gni-fique ? Le mec qu’on a envoyé là-bas par défaut, juste pour avoir un tout petit peu moins honte sur la scène mondiale que si on devait se faire représenter par la truie immonde, mais dont le monde entier rigolait avant de trouver dramatique sa dérive autoritaire, ce mec se fout du journaliste de TF1 (bon ça encore…) mais surtout de nous tous, répond ouvertement à côté de la question, et l’autre de conclure par « Il n’y a donc pas de tabou ? ».
(ici cette chronique devrait être fournie avec un petit sac en papier, comme ceux qu’on trouve dans les avions mais comme je suis élégant, j’ai choisi une autre image)
Alors, il ne faut pas s’étonner que, des années après que je l’ai brocardée régulièrement quand elle présentait le journal du service public, Elise Lucet soit devenue une héroïne, la pasionaria du journalisme courageux en France. Oui, bien sûr, les enquêtes qu’elle présente, encadre et défend, sont peut-être tout ce qu’il reste d’honorable dans la presse grand public en France et nous connaissons des pays prétendument démocratiques où on l’aurait déjà butée (se rappeler le destin de Daphne Caruana Galizia).
Au passage, je ne peux que vous recommander l’écoute de cette excellente série des Mécaniques du Journalisme qui raconte de l’intérieur une histoire qui force le respect.
Comme l’étonnant Jacques Toubon (mais beaucoup plus jeune), elle a fait son chemin de Damas et, là où elle devrait être un guide, elle est une impressionnante exception (pour l’instant, espérons-le !) dans ce métier en perdition où on fait malheureusement moins le job… que le Bouleau.
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