Bonjour les Dinosaures !

« La Radio, c’est le truc des parents qu’on écoute dans la voiture, et ça fait pas envie… »

Ingrid, étudiante, 24 ans.

Voilà, c’est clair, net et sans appel. Elle a 24 ans, a fait des études techniques poussées (un BTS super pointu auquel je ne comprends que pouic), elle est geek, sait utiliser tablette, smartphone, ordis, logiciels, etc…

Et elle n’écoute jamais la radio. Attention : je n’ai pas dit « elle n’écoute plus la radio », j’ai dit « elle n’écoute jamais« .

Jamais, comme pas du tout. Jamais, comme jamais de la life. Jamais, comme c’est quoi ce truc ?

Il y a plus de 10 ans, dans une des rencontres du Salon de la Radio, consacrée à l’enseignement de notre métier, j’ai osé proférer qu’à enseigner aux jeunes nos vieilles recettes éculées, en refusant de continuer à inventer, on allait perdre les jeunes générations. Du coup, je me suis fait engueuler copieusement par tout ceux dont le bizness consiste justement à gagner leur vie sur ces vieilles recettes jusqu’à ce que le citron ne donne vraiment plus de jus. Je me suis écrasé, laissant passer l’orage (1).

Aujourd’hui encore (c’est dire !), on tord les chiffres dans tous les sens pour nous démontrer que, bien sûr que si, il y a encore des jeunes pour écouter la radio. Oui, ben qu’on les mette dans une réserve et qu’on leur coupe le wifi et la 4G, alors !

Les vieux jeunes qui dirigent les radios jeunes sont au choix totalement déconnectés du réel ou de la plus parfaite mauvaise foi.

Pendant 20 ans, j’ai fait de la radio avec des ados, à l’hôpital Trousseau, à Paris. Les lycéens du coin venaient, le midi, le mercredi, les week-ends, animer des émissions pour et avec les petits hospitalisés. Ils venaient dans le studio avec leurs pansements, leurs broches, leurs fauteuils roulants, rigoler un peu dans des jeux à la con, à faire des karaokés, etc. Le gamin qui allait être opéré le lendemain devenait la star de l’émission, qu’on lui enregistrait. ensuite, il partait au bloc en la réécoutant, s’endormait et se réveillait avec. Et nos jeunes, nos ados, apprenaient sans s’en rendre compte l’écoute de l’autre, l’empathie. Et on les a retrouvés dans les médias, en télé, photo. Même en radio. Et puis quoi ? Au bout de 20 ans, le combat s’est arrêté, faute de combattants. Parce que faire de la radio, ça ne faisait plus kiffer personne, ou presque. Ni les petits, ni les lycéens. Fin de l’aventure. Alors oui, j’ai la prétention de connaître le sujet.

Je sors d’un collège de banlieue où les enfants m’ont dit écouter, eux aussi, la radio dans la voiture des parents. Sous la contrainte, donc !

Pourtant, eux aussi, ils aimeraient en faire. Ils vont en faire. Oui, ils vont lancer un « club radio » (Ah, tu vois, Jounin, toujours en train de râler…!)… Oui, mais, quel est le sujet qui les a intéressés dans notre rencontre ? Le tuyau ! La mise à disposition, les auditeurs et comment les toucher. Et la notion de flux ne les intéresse absolument pas. Directement, ils imaginent leur projet autour du principe du podcast ! Et vous savez ce qu’ils veulent mettre dedans ? Hein, vous dites… De la musique ? Que nenni ! Des reportages et des fictions ! Oui, ils veulent écrire une histoire, née de leurs « délires », la jouer, l’enregistrer.

Le joli petit studio que j’ai monté récemment avec Ingrid… qui n’écoute pas la radio

Voilà des jeunes selon mon cœur : car quand on s’évertue à leur imposer des vieux schémas (nés en 1987 dans le bureau de Marc Garcia, rue François 1er, avec un futur gourou autoproclamé de la radio en train de prendre des notes sur son cahier d’écolier, choses vues par l’auteur de ces lignes, de l’autre côté de la vitre, dans le studio où je commençais à appliquer ces foutues règles), eux, ils reviennent aux fondamentaux de la radio, ce média né pour raconter des histoires, qu’elles soient celles de nos contemporains ou le fruit de notre imagination.

Ces gamins, ils ont 11, 12 ans, sont l’avenir et peut-être la chance de survie de notre média. Ingrid, que j’ai citée plus haut, malgré son investissement dans un projet radiophonique momentané auprès de jeunes précaires, elle est quasiment perdue pour le média, comme une partie de sa génération. Cette génération pour laquelle le flux est une notion dépassée. Non, ils ne veulent plus entendre parler de prendre rendez-vous avec nous pour être là au début de l’émission. Ils ont pris l’habitude (sur les télés, internet sous toutes ses formes, etc…) de consommer quand ça leur chante, comme ça leur chante. Or, nous sommes infoutus de leur proposer la même offre, que ce soit en replay ou en podcast.

Feodor Atkine et l’Orchestre National de France : Dracula, concert fiction de Radiofrance

Radiofrance (et les formidables fictions, justement, qu’on peut y écouter ?), il faut avoir fait Polytechnique (ou avoir exclusivement un smartphone à la pomme) pour réécouter. Prenons un exemple précis : je conseille à quelqu’un de réécouter le concert-fiction de 20000 Lieues sous les Mers. Le temps d’une recherche sur un moteur, de trouver la page, le lien de téléchargement… Ah oui, parce que moi, l’Orchestre National de France, désolé, mais je l’écoute sur des enceintes dignes de ce nom ! (2). 10 mn, au moins pour un bidouilleur entraîné ! Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres…

Le Moyen-Âge…

Le problème de ce chantier essentiel est qu’on l’a occulté au profit (3) de celui de la RNT (avec le succès que l’on sait) et de la radiovision, miroir aux alouettes qui va encore nous occuper quelques temps, jusqu’à ce que les caisses soient vraiment vides. Pendant ce temps, les corbillards (pour reprendre la belle formule de JP Baudecroux) ont cessé de transporter exclusivement les auditeurs de RTL.

Ah oui, j’oubliais aussi un chantier essentiel : interdire à Bruno Guillon de manipuler les esprits des auditeurs, des jeunes supposés donc totalement décérébrés. Or, si on n’a même plus le respect de ses auditeurs, logique qu’on s’en éloigne à toute vitesse.

-C’est fini ?
– Je sais pas, je me suis endormi dès le début…
– Eh bah t’as pas loupé grand chose !!

Allez, sur ce, je laisse les tas de vieux plus jeunes que moi qui prétendent que (jusqu’à présent) tout va bien, ricaner derrière mon dos devant ce Nième prêche dans le désert et je retourne bosser avec mes 18/25 ans de la Mission pour l’Emploi de l’Oise ou mes gamins du collège du 93. On va peut-être participer (humblement, mais surement) à ne pas laisser un champ de ruines derrière nous !

 

 

 

 

 

(1) Je sais, ça ne me ressemble pas, mais je sortais d’une nuit courte et agitée, c’est ma seule excuse.

(2) Elispon 100 W, 10 ans d’âge, vieillies en fut de chêne…

(3) Profit : mot qui, utilisé en radio, prend le même genre de double sens que celui de « forfait » en téléphonie mobile…

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