Je voudrais vous raconter aujourd’hui une anecdote qui m’a marqué et qui continue à me trotter dans la tête, et vous faire partager les réflexions qu’elle m’inspire.
C’est arrivé voici quelques semaines, lors d’un moment professionnel fort que j’ai déjà eu l’occasion de raconter ici. C’est à l’occasion de la Convention Radio de la Réunion qui a eu lieu courant mars 2014. J’ai déjà raconté le plaisir que j’ai eu à animer une table ronde avec certains des principaux acteurs de notre métier, dans cette partie de France lointaine où il est particulièrement vivace. J’en profite pour vous remettre cette photo d’illustration que j’aime beaucoup car chacun y est tout à fait souriant, ravi de partager autour d’un métier, d’une passion commune. Ravis aussi de se rencontrer, car, même sur un territoire aussi resserré, certains ne connaissaient pas encore et cette convention fut aussi l’occasion de belles rencontres.
Et c’est d’une rencontre, improbable s’il en est, qu’il sera question ici.
Les amis invités invitant leurs propres amis, nous avons par exemple accueilli parmi les participants Serge Lacour. Serge est un vieux routier des médias et il officie actuellement quotidiennement sur PlusFM Réunion, aux côtés de mon ami et son sparing-partner Bernard Colomb. Chaque matin, Serge et Bernard nous livrent « Thalussa, le magazine de l’amer« , une revue de presse critique, drôle, fine, argumentée, intelligente, et quelque peu cynique. Et c’est d’autant plus agréable à écouter que le fiel distillé avec infiniment d’humour par Serge est compensé par la bonhomie de Bernard, sachant que le tout, qu’on soit d’accord ou non, est argumenté et, certes critiquable, mais défendable.
Serge est donc le genre d’esprit qu’on aime croiser et sa verve fait sans doute fureur dans les dîners en ville. J’étais donc ravi de le croiser une nouvelle fois.
C’est à l’apéro que les choses se sont gâtées. Parmi mes invités personnels, il y avait Lilou, que j’ai toujours considérée comme une animatrice emblématique de Freedom, la première radio locale, et de loin. Arrêtons-nous un instant sur cette notion et la définition que je lui donne. Chaque radio, un jour, rencontre son animatrice/teur emblématique, celui ou celle qui a compris le format mieux que tout le monde, qui l’incarne et lui donne toute sa force. Ainsi, bien avant d’avoir le plaisir de le cotoyer pendant une saison, ai-je pensé pendant des années que Philippe Llado, c’était Rire & Chansons, que personne (pardon les copains!) mieux que lui n’avait saisi au plus profond comment se placer entre les sketchs, la musique, etc… On pourrait en citer quelques autres, je vous laisse remplir vous-même les petites cases…
Ainsi, parmi les animateurs/trices de Freedom, Lilou m’a-t-elle toujours donné l’impression d’être toujours la bonne personne à la bonne place et c’est son talent d’écouteuse qui fait pour moi sa puissance au micro, cette merveilleuse empathie qui lui permet d’accueillir les auditeurs avec une chaleur rarissime. Or, il se trouve que (ce métier est plein de malades mentaux, je ne vous apprends rien…) Lilou est, paradoxalement – ou non -, une grande timide. Elle déteste se mettre en avant et il m’a fallu des trésors de diplomatie (si si!) pour l’amener à participer à cette table ronde, puis à y prendre la parole.
Or, voilà-t-il pas que, à l’apéro, donc, Serge Lacour, apprenant qu’elle travaillait à Freedom, s’est mis à lui expliquer tout ce qu’il pensait de sa radio, de son antenne, de son format, de son boss, etc… Et inutile de vous préciser que tout ceci n’était guère reluisant. Oui, parce qu’il est de bon ton, chez les intellectuels de la Réunion, de dire le plus grand mal de Freedom. Loin de moi l’idée de prétendre ici que j’apprécie tout de cette radio, ce serait un vilain mensonge. Mais je me refuse à jeter tout d’une radio qui représente 40 % de l’audience d’un territoire que j’apprécie tant. Ce serait, me semble-t-il, faire injure à ses habitants. Quant au professionnel de la formation, il se demande toujours si, par hasard, sans copier un format qui trouve sa justification dans son ancrage local, il n’y aurait pas un peu de technique à leur piquer et à remiser par devers soi, comme disait Thérèse.
La discussion a alors un peu changé de ton parce que j’ai trouvé la charge un peu violente et qu’on n’agresse pas (même verbalement) mes amis sans que j’ouvre ma grande bouche. Mais finalement, autour du verre qui a fini par redevenir celui de l’amitié, ce sont deux conceptions opposées de la radio qui se sont affrontées, quand elles devraient être complémentaires.
Cette discussion a longtemps continué à faire écho dans mon crâne car elle est riche d’enseignements. Car l’erreur de Serge a été de confondre certains fondamentaux (effectivement discutables) de Freedom avec la sensibilité des gens qui y travaillent, notamment des animatrices, actuelles ou passées. Et pour avoir eu le plaisir d’en écouter plusieurs, d’en rencontrer quelques unes en dehors de Lilou, de travailler avec certaines, désormais à Réunion 1ère, j’ai constaté chez elles, en dehors d’une belle énergie pas toujours bien canalisée ni tout à fait à bon escient (mais c’est bien pourquoi on avait besoin d’un formateur!), cette volonté d’aller vers l’autre, cette qualité d’écoute, cette chaleur et, finalement, cette prise de risque que représente la ligne ouverte. J’ai encore dans l’oreille l’éclat de rire de Zoé, autre animatrice de Freedom, qu’un auditeur incitait à donner son avis sur le débat en cours : « ah, s’il y a bien un avis dont tout le monde se fiche, c’est le mien ! », a-t-elle précisé. Merci Zoé ! Si je n’avais été au volant, je t’aurais applaudie.
Serge a notamment reproché à Lilou un épisode certes éminemment discutable car tragique arrivé en direct sur cette antenne. Il lui a reproché, et c’est un épisode dramatique bien connu des Réunionnais, le traitement sensationnaliste donné à cet événement. Mais lui n’a pas vu les larmes dans les yeux de l’animatrice qui avait vécu ça en direct, poussée par le boss, quand je lui en ai parlé personnellement, le traumatisme qu’elle avait vécu, elle aussi.
Car c’est facile, Serge, d’écrire avec talent des piques ravageuses contre les puissants de la région, de déballer leurs turpitudes et leur nullité sur une antenne associative. Oui, finalement, c’est facile car cela tourne à l’exercice de style avec ce côté presque hautain (involontairement, je n’en doute pas) qui laisse à penser que « soit tu me trouves drôle, soit tu es con et tu peux aller écouter ailleurs« . Ou encore, comme me l’avait sorti sans rire un stagiaire d’une radio asso du Sud de la métropole « on a fait le choix d’un auditoire peu nombreux mais de qualité« . Plus de dix ans après, il me fait toujours rire, Pèpère…
Et c’est beaucoup moins facile de tendre son micro à son territoire, d’être en même temps à la console, au micro, à l’écoute de ce qui se dit, en train d’imaginer quand ça devient trop long, quand il faut relancer, quand le monologue de l’auditeur, de concernant devient excluant, d’attendre dans une oreille le carillon d’Europe 1 pour cadrer les infos, etc…
Bref, même si c’est un peu réducteur, je ne peux m’empêcher de penser que j’ai vu là s’opposer la tête et le cœur, l’ironie et la chaleur humaine, le cynisme et l’empathie.
Alors, dites donc, gens d’antenne, mes frères et sœurs de galère… Si, au lieu d’opposer tout ces éléments, on était capable de les mixer ? Si on pouvait, avec le même talent que nos programmateurs peuvent mettre dans leurs rotations, dans le labo d’un moderne Frankenstein de la radio, mélanger des gênes de Serge Lacour avec ceux de Lilou, le tout touillé par un professionnel de la mécanique d’antenne, est-ce qu’on ne pourrait pas inventer pas une espèce de nouveau genre d’animateur ultime et parfait ?
Et après ça, les amateurs de buzz à deux balles, avec leurs recherches de robot animateur, pourront continuer à nous faire doucement rigoler.
Non ?
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